L'aliénisme, ou la naissance de la psychiatrie

Auguste-Frédéric de Meuron, fondateur de la Maison de santé de Préfargier, s’est notamment entouré du Conseil des Aliénistes français pour élaborer le concept d’un établissement de prestige destiné aux malades psychiatriques du canton de Neuchâtel. Mais qui étaient les aliénistes ? 

Un jour de 1792, le Docteur Philippe Pinel, médecin chef de l’hospice de Bicêtre en France, aurait fait retirer toutes les chaînes qui entravaient les insensés de son établissement. Par ce geste fort, le médecin aurait voulu démontrer que les fous n’étaient pas des possédés qu’il fallait enchaîner, mais des hommes et des femmes malades, des « aliénés » comme il les nomme lui-même, qu’il faut soigner. 

Si cet événement ne s’est en réalité jamais produit de façon aussi spectaculaire, cette légende reste un symbole fort, celui de la naissance de la psychiatrie. En faisant basculer la folie du côté médical, le Docteur Pinel entend faire disparaître les préjugés et les mauvais traitements dont étaient victimes les malades psychiatriques, au profit de traitements destinés à soigner leurs maux.

Tableau de Tony Robert Fleury, "Philippe Pinel à la Salpêtrière", 1876. Public domain, via Wikimedia Commons

Les concepts sur l’aliénation mentale de Philippe Pinel provoquent l’enthousiasme au début du XIXe siècle. Ses héritiers, les « aliénistes », défendent et développent ses idées. 

Parmi ceux-ci, le Docteur Jean-Etienne Esquirol, qui met en place les concepts de l’institution asilaire, à savoir un lieu dédié aux soins des aliénés.

C’est donc au Docteur Esquirol que nous devons le terme d’ « asile », qui vient du grec asilon et qui signifie « lieu inviolable » ou « refuge ». Selon lui, il fallait offrir un nom spécifique à ces lieux, qui « n’offrirait à l’esprit aucune idée pénible », comme il le formule lui-même, contrairement aux dénominations humiliantes des maisons où étaient reçues les personnes dites insensées à cette époque. Aujourd’hui, on peut sans nul doute indiquer que notre perception de ce terme a depuis bien changé.

L’année 1838 va aussi marquer un tournant dans l’histoire de la psychiatrie, en concrétisant au niveau politique le concept asilaire. Cette année-là, la France adopte une loi qui oblige les départements à prendre soin des aliénés dans des institutions spécialisées, les fameux asiles.

Vue à vol d'oiseau de l'asile d'aliénés de Saint-Anne à Paris, Questel, Public domain, via Wikimedia Commons

Toutefois, face à la mise en pratique de ces concepts théoriques, l’optimisme de la première moitié du XIXe siècle va céder sa place à un certain désenchantement. Une vingtaine d’années après l’adoption de la loi de 1838, le nombre de malades psychiatriques qui ressortent guéris des asiles français ne dépasse pas les 5%. Les asiles doivent aussi faire face à une augmentation massive du nombre de patients, passant d’une dizaine de milliers en 1840 à plus de 100 000 durant l’entre-deux-guerres.

Les médecins justifient ce très faible taux de guérison par le nombre de patients incurables qui sont envoyés dans leur établissement et les surchargent, à savoir les populations de personnes âgées séniles, les alcooliques chroniques ou encore les personnes atteintes de syphilis. 

A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, une partie des médecins va ainsi progressivement cesser de penser que tous les fous sont des aliénés, donc des personnes curables, et les considérer, selon leur propre terme, comme des « dégénérés », à savoir des personnes atteintes physiquement d’un mal de naissance et qu’on ne peut guérir.

Certains asiles passent alors d’un lieu d’accueil pour guérir à un lieu d’enfermement pour protéger la population de ces « dégénérés » incurables.

A Neuchâtel, l’Etat fait construire en 1897 l’Hospice de Perreux, destiné à accueillir les malades incurables et désencombrer ainsi les lits des hôpitaux de Préfargier et de Pourtalès. La Fondation de Préfargier fera don de 100 000 francs à l’Etat pour ce projet.

 

La naissance de psychiatrie moderne
Narrateur : Dr Hugues Paris
3min 48


Pour aller plus loin : sources et informations

Aude Fauvel, Maître d’enseignement et de recherche et historienne de la médecine et de la psychiatrie à l’Institut des humanités en médecine du CHUV, a publié plusieurs travaux qui reviennent notamment sur l’histoire du mouvement aliéniste, dont l’article « Les fous morts brûlés. Cauchemar, fantasme et réalité de la médecine aliéniste (XIXe-XX siècles) », publié dans Psychiatrie, Sciences humaines, Neurosciences, 2007, 5/4, p. 212-19.

Retrouvez aussi l’histoire de la psychiatrie avec comme invitée Aude Fauvel dans la série thématique de l’émission CQFD de la RTS « Du fou au au malade mental, une histoire de la psychiatrie ».

Enfin, plongez dans le livre « Au-delà du conscient, histoire illustrée de la psychiatrie et de la psychanalyse » de Pierre Morel, Jean-Pierre Bourgeon et Elisabeth Roudinesco, publié aux éditions Hazan, pour en apprendre plus l’histoire de la psychiatrie du Moyen âge à notre époque.