Quand Neuchâtel brûlait ses sorciers et sorcières
Neuchâtel n’a pas été épargné par la chasse aux sorcières. Entre le XVe siècle et la moitié du XVIIe siècle, 387 personnes ont ainsi été condamnées pour sorcellerie sur le territoire !
Olivier Silberstein, doctorant à l’institut d’histoire médiévale de l’Université de Neuchâtel, s’est spécialisé dans l’étude des procès pour sorcellerie qui ont eu lieu dans le comté de Neuchâtel. Dans sa thèse, il s’intéresse en particulier à l’évolution du profil des accusés et des prétendus actes qu’ils et elles auraient commis après avoir rejoint la secte du diable.
Si tous les profils sociaux pouvaient potentiellement se retrouver sur le banc des accusés, le chercheur a observé qu’au XVe siècle, les victimes sont en majorité des hommes. La procédure est alors souvent utilisée à des fins politiques. Au cours du XVIe siècle, les pratiques évoluent et les femmes deviennent les principales cibles des accusations de sorcellerie.
L’importance des aveux
Pour pouvoir condamner au bûcher une personne accusée de sorcellerie, il fallait obtenir ses aveux pendant l’interrogatoire.
En étudiant les retranscriptions de ces aveux, Olivier Silberstein a aussi pu mettre en lumière l’évolution des actes reprochés aux prétendus sorciers et sorcières au fil des ans. Alors qu’on retrouve dans les confessions des actes absolument monstrueux, comme le cannibalisme, la zoophilie ou la mise à mort d’enfants et d’animaux, à partir de la moitié du XVIe siècle, on découvre que plusieurs accusés avouent également le crime d’avoir… dansés au son d’un instrument de musique, sous des lumières bleues !
L’historien explique qu’après la Réforme de Neuchâtel en 1530, la pratique de la danse est interdite. Le langage et les actes retranscrits évoluent ainsi au gré des changements des mœurs de la société neuchâteloise de l’époque.
Mais comment expliquer que les personnes accusées de sorcellerie cédaient et confessaient être coupables d’actes monstrueux qu’elles n’avaient évidemment pas commis ? Si le recourt à la torture semble la réponse la plus logique, pour Olivier Silberstein, cela n’explique pas tout.
Selon lui, un mécanisme psychologique, le « Memory distrust syndrome », ou en français « le syndrome de perte de confiance en sa propre mémoire », était aussi en action dans ce genre de cas. En effet, face à la pression de l’interrogatoire et aux questions orientées notamment, une personne peut complètement perdre confiance en ses souvenirs. Son cerveau va alors créer des images, des souvenirs qui correspondent aux accusations, pour leur donner du sens. Elle va ainsi être persuadée d’avoir bien commis le crime dont elle est accusée.
Ce phénomène expliquerait ainsi pourquoi une grande partie des accusés ne se contentaient pas simplement de s’accuser des actes qui leur étaient reprochés, mais ajoutaient aussi de multiples détails dans leurs confessions.
Nous remercions chaleureusement Olivier Silberstein pour sa disponibilité ainsi que pour le partage de ses recherches avec nous.
Pour aller plus loin : sources et informations
Retrouvez la page de présentation d’Olivier Silberstein sur le site de l’Université de Neuchâtel, ainsi que la liste de ses publications.
Découvrez aussi plus d’information sur le mécanisme psychologique derrière les fausses confessions en plongeant dans cet article du site Le Monde.fr, et dans l’étude (en anglais) de Gisli Gudjonsson, premier chercheur à s’être intéressé à ce phénomène.
Panneau :
Plongez-vous dans l’histoire d’Henripolis, le grand projet d’Henri II D’Orléans-Longueville et de Jean Hory, dont la femme fut victime de la chausse aux sorcière. Jean-Pierre Jelmini, historien neuchâtelois, en fait le récit dans le troisième épisode du podcast du Laténium consacré à l’histoire La Tène.
Vous trouverez aussi plus d’informations dans les notices consacrées à Jean Hory et Henripolis du Dictionnaire historique de la Suisse